"Tout" c'est en fait le "marchand de tout", en grec le pantopoleion. Le pantopoleion était l'une des institutions incontournables de la vie et des villages grecs, au même titre que le kapheneion aux chaises dépareillées et le peripteron ouvert sur trois côtés, géniale invention tant du point de vue commercial que calorifuge pour son occupant. Comme l'indiquait son nom nom, on trouvait de tout au pantopoleion: aliments et conserves, ustensiles et produits ménagers, canne à pêche, tuyau d'arrosage, spiritueux, jouets pour enfants, médicaments, lampes à pétrole et bien d'autres choses. Ces magasins anticipaient depuis des décennies le concept développé , dit-on, par les français de "grande surface": lieu appelé à devenir unique point de chute pour tout ce que cherche le consommateur: du papier lettre à la machine à laver en passant par la chaussure, le vêtement, les voyage à bas prix et le meuble de jardin. Bien que précurseur, notre pantopoleion différait de la grande surface par …la surface et le rangement. Car il s'agissait souvent de petits magasins au fouillis indescriptible: ici point de "tête de gondole", chère aux étalagistes des géants de la distribution destinées à faire mettre dans le chariot du client un article parfois inutile mais magnifié par un prix alléchant et un emplacement privilégié à la gestion non désintéressée. Dans le non-rangement organisé, seul le commerçant était en mesure de trouver ce que le client cherchait. Le contact entre acheteur et vendeur était ainsi rendu nécessaire, ce qui donnait parfois prétexte à de longues discussions sur tous les sujets chers aux grecs, dont la politique au premier chef. Lieu d'échanges et de rencontres, le pantopoleion était donc comme un élément majeur de la vie sociale.
Hélas, ce pantopoleion, insidieusement a disparu du paysage grec. Il n'eut pas le privilège d'être classé au patrimoine mondial de l'humanité ou au moins de la grécité. Progressivement s'est installé à sa place le super market: l'invasion a commencé par la ville d'Athêna et les autres grandes villes puis a gagné tout le continent et les îles, mêmes les plus petites et les plus inaccessibles. Le super market est une image en négatif du pantopoleion: le client y entre anonymement, sans dire bonjour, prend un panier voire un petit chariot, trouve sur des étalages bien rangés les articles qu'il cherche et qui comportent même une date de péremption; le lait Vlakas y a été remplacé par son homologue hollandais (Europe exige) ou néozélandais, les bons yaourts Total Lipara ont laissé place aux insipides zéro pour cent, la poussière a disparu et les prix sont affichés. Son panier ou chariot rempli, le client paye avec sa carte bleue à une caissière formée à la même école d'apathie que celle où étudia la personne à laquelle il est confronté chez lui une fois par semaine. Une seule différence: la caissière grecque vous parle de principe en anglais. Sans le savoir, en fait, le client avait déjà renoncé à langue grecque dès la lecture de l'enseigne: là où est écrit "super market", le grec, toujours en difficulté avec le son "u" lit à l'anglaise "soupère markette". On oublie que ce préfixe "super" est un mot latin venu du grec "uper" récupéré ensuite sous la forme du préfixe "hyper", le "u" grec devenant le "y" précédé d'un "h" pour rappeler qu'en ce temps là on avait de l'esprit, rude ou doux.
Dans l'échelle de la grande distribution, hyper est plus grand que super.
Ce client étranger se rappelle-t-il alors que la première image de la Grèce en atterrissant à l'aéroport Eleftheros Venizelos d'Athènes est un "super" ou "hyper" marché Carrefour et un tout aussi hellénique "Leroy-Merlin"? (le lecteur pourra aller vérifier sur place)
En reléguant le pantopoleion aux oubliettes de la distribution, la Grèce a un peu perdu de son authenticité. Loin de nous l'idée de sombrer dans la nostalgie - un de ces jolis mots légués par la langue grecque à la langue française – ou de jouer les Cassandra, mais ne quittons pas des yeux les periptera, de peur qu'ils ne soient remplacés par des distributeurs automatiques.
Jean-François Schved
Jean François Schved Écrivain Hématologue Professeur au CHU Montpellier
Schved Écrivain Hématologie CHU Montpellier Plongées Voyage Harmattan Glyphe Hématologue